21 novembre 2010

Années de collège

C'est peut-être parce que je suis passé devant aujourd'hui, peut-être
aussi parce qu'il était 10:10 à mon radio-réveil quand je suis monté
me coucher, ou est-ce parce que je rencontre probablement un ancien
ami du collège que je n'ai pas revu depuis des décennies ce mercredi
que je me suis relevé pour écrire ce soir ? Sachant reconnaître les
signes avant-coureurs de l'insomnie et l'inspiration qui elle
sommeillait. Quand on se couche trop tôt, qu'on entend le sang pulser
dans sa tête et que le rythme des souvenirs et des idées est trop
présent et que nos tentatives à se laisser partir échouent aux portes
du sommeil. Aussi bien se lever.
Tant et si bien que me voilà au clavier, décidé à mettre en ligne
quelques souvenirs qui surgissent du passé. Tout cela n'est pas
étranger non plus au fait que les médias ont ressassé récemment toutes
ces histoires de pédophilie et d'abus qui ont sali la vie de plusieurs
anciens du célèbre CND. À moins que ce ne soit la canonisation du
frère André, illustre portier, frère sainte croix lui aussi qui
couvait déjà l'institution de son aura ambigüe.
Je n'ai jamais été abusé au collège. Premièrement je n'étais pas
pensionnaire, seulement demi, ce qui impliquait que je rentrais chez
moi tous les soirs, ne prenant que très rarement mes repas à la
cafétéria, je n'ai pas été parqué dans un dortoir où rodaient des
soutanes.
La bouffe était réputée infecte, je dois dire que je n'y ramassais
habituellement qu'une soupe, le dessert, ou ce qui me semblait
mangeable.
J'avais aussi l'avantage de ne pas être trop avantagé;o), n'ayant rien de
ces jeunes éphèbes qui tentaient le plus les pseudo-moines aux
tendances pédérastiques. J'avais aussi trois frères plus vieux qui
m'avaient précédé, dont un qui avait déjà mis son poing sur la gueule
de Lafortune, lorsqu'il avait sévi au Collège Saint-Laurent dix ans
plus tôt.
Et de sévir il était souvent question au collège. Et pour ma part ce
ne sont pas les attouchements qui m'ont importuné.
En fait, je me souviens plutôt de la violence et de l'aveuglement de
tous. Ce n'était plus la grande noirceur, mais pourtant c'était la
presque totale cécité.
Tous, même mes parents ne pouvaient ou ne voulaient se douter qu'en
nous mettant au collège, en nous soumettant à cette éducation
semi-militaire qui valait d'ailleurs mieux que bien d'autres ils
pouvaient nous donner un fort mauvais apprentissage de la vie.
Récapitulons... Je suis entré au collège en secondaire 1, au lieu de
faire ma septième année dans mon quartier.
J'ai donc été séparé de mes anciens amis mais c'était présenté comme
un privilège. Après avoir été enfant surdoué de Sainte-Odile mes
parents jugèrent que l'investissement pourrait valoir la peine. De
toutes les manières mes parents jugeait l'éducation importante et
avaient toujours été pris soin d'envoyer leurs cinq enfants dans des
écoles privées et je les en remercie. À travers les ordures il y avait
quelques professeurs.
Et à travers leurs déviances même les moins bons professeurs m'ont
quand même enseigné quelques connaissances, j'ai été aussi forcé de
combattre une certaine facilité, une certaine mollesse d'enfant trop
aimé, ça m'a sorti de l'enfance et j'avoue que les rigueurs et la
discipline imposées m'ont fait un certain bien.
Les précepts du collège étaient "mens sana in corpore sano", donc deux
heures d'éducation physique par jour, les sports, l'athlétisme, la
piscine ont fait partie de mes cinq années au CND.
C'était toute la fierté d'ailleurs de l'institution : deux heures de
sports, deux heures d'étude, le reste en cours. J'ai fait mon cours
classique ou ce qu'il en restait. Je regrette de ne pas avoir fait de
grec, mais j'ai fait du latin.
Quand on entre dans une telle institution en septième année on est
encore un enfant, avec toute la naïveté qui y est associée. Je n'étais
pas meilleur ou pire que les autres, en aucun cas un ange et pas le
plus travaillant.
Mais quand j'y repense, ce qui me revient en tête, c'est que tout le
monde savait.
Tous savaient que si on sortait du rang, si on faisait le rigolo, on
allait se prendre une bonne baffe.
Tous savait aussi qu'il y avait des frère tripoteurs, intéressés
surtout, évidemment, aux plus petits, les plus jolis, les plus gênés.
On faisait tous des farces sur le frère Émilien de l'infirmerie :
"Frère Émilien, j'ai mal à la tête" - OK Baisse tes culottes. C'était
comme ça.
Mais même si je n'excuse pas les comportements pédophiles,
j'appréciais encore moins la violence, les claques sur la gueule, les
lancers de trousseaux de clés qui traversaient la salle d'étude. les
pénitences devant l'ascenseur avant d'être soumis au préfet de
discipline.
Beaux personnages les préfets de discipline, ils alternaient au gré
des années : frère Boileau, dit Moignon parce qu'il lui manquait
quelques doigts, le regard de grand Duc et la main infirme et leste
qui attrapait les placoteux au vol lorsqu'on sortait de la salle
d'étude, à la file indienne, en deux rangées longeant les murs du
corridor où il nous attendait prêt à attraper une oreille, à foutre
une bonne claque ou à mettre en retenue. Sarrazin, un autre rapace,
grand, maigre, qui excellait à faire peur. Richer le visage déformé de
la méchanceté, sourcils broussailleux et sévère, laïque mais tout
aussi chien.
Tout le monde savait, aucun secret là dedans, ça faisait partie de
l'esprit du temps. Lex dura sed lex ultra, la loi est dure mais c'est
la loi. On payait pour ça. Mes parents ont payé.
Je vous montrerai peut-être les photos de ces éducateurs, vous pourrez
vous faire une idée. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas savoir
en regardant l'album de fin d'année.
À travers les années on apprenait à les connaître et à éviter de se
trouver sous leur mains.
Mais tous savaient. Car enfin comment pouvaient-ils ignorer que le
frère Roland, un hobbit libidineux, Sylène en forme de baril, qui
habitait un garde-robe d'où il gérait les clés et les costumes de
bain, qui mesurait l'évolution de notre taille pour les fiches
biométriques : grandeur, tour de taille de poitrine, capacité
pulmonaire et profitait de toutes les occasions pour coincer un petit
près d'une case pour lui mettre son brégnet ?
Quelle belle émulation aussi, tous ces petits soldats en short bleu et
camisole à colorer au gré des progrès sportifs : débutant, aucune
couleur, juvénile, un triangle bleu, junior un autre triangle coloré,
etc. de l'olympisme plein la gueule.
Et soyons francs, les plus teigneux étaient les plus bêtes, les moins
éduqués, les sous-fifres, les plus handicapés, les pions, les
surveillants de salle : Jetté, un laïque surveillant de salle, celui
qui de sa main morte avait viré la tête d'un certain Fugère qui avait
commis l'erreur de parler à l'auditorium. Brochu le surveillant
d'étude, bègue, quasi hydrocéphale qui m'avait déjà claqué, je ne me
souviens plus pourquoi. Que j'ai presque moi-même frappé quand il a
ré-essayé une fois rendu en secondaire quatre. Tous ces sinistres
personnages, colériques, introvertis, ne demandaient qu'à être
provoqués pour se calmer sur un plus petit. Mais aussi des
enseignants, Cormier, un potentiel petit nazi, Poirier,
affectueusement nommé Rat Blanc, on se demande pourquoi, il n'aimait
pas frapper en public, les corridors résonnent encore de ses claques.
Et ce cher Lafortune, rougeoyant de colère, celui-là même, qui avait
sévi à Saint-Laurent, et qui m'avait craint dès qu'il avait lu et
reconnu mon nom dans son cours de géographie.
C'est d'ailleurs un de mes derniers et meilleurs souvenirs. Quand
après cinq ans d'exercice et devenus de solides adolescents on sentait
leur crainte. Ils avaient hâte qu'on parte.
Je me souviens qu'approchant la graduation nous étions passés par la
salle des petits, et qu'en apercevant Brassard qui frappait un enfant
à bras raccourcis, nous l'avions vertement provoqué et que Leblanc, le
plus vengeur d'entre nous lui avait lancé : " Si tu veux te battre
avec quelqu'un viens te battre avec moi..." Ce gros salaud, genre de
Jim Belushi en habit et lunettes noires s'était retourné, furieux mais
soudain plus craintif devant nous trois qui n'en avions plus rien à
foutre du CND... Il nous avait envoyé au préfet à qui nous nous étions
permis de dire aussi ses quatre vérités : "vous trouvez ça normal
qu'il batte un enfant ?
Ce même frère Brassard ne se gênait pas d'ailleurs pour arrondir ses
fins de mois en vendant des cigarettes à l'unité au petits de
secondaire 1 et 2, c'était accepté aussi.
Donc oui, il y avait des tripoteux, mais il y avait aussi de joyeux
sadiques qui jouissaient de leur pouvoir sur des enfants.
Combien de fois avons-nous rêvé de foutre le feu, de faire flamber
tout ça de la cave au grenier ?
Tout ce noir. Ces étages sombres, les chambres des frères où on était
parfois invités, pour préparer une pièce de théatre ou autre prétexte.
La discipline sportive aussi, presque militaire, en tous cas pour ceux
qui n'étaient pas bâtis pour ça, c'était un enfer, se retrouver
douchés à attendre de devoir monter au tremplin de trois mètres sans
échappatoire autre que la déconfiture publique, menacé de se prendre
un ballon de water-polo dans le dos. Car soyons francs il y avait
aussi de beaux cas parmi les laÏques aussi, surtout les intellectuels
de la palestre, de la lutte greco-romaine ou de l'haltérophilie.
Drôle de penser aussi que j'y suis déjà entré en classe avec une
Winchester pour donner une présentation sur les armes à feu.
Heureusement pour eux je n'avais pas accumulé assez de haine, mais
c'est simplement pour dire que tous savaient.
Je ne les ai pas tous connu, j'ai eu la chance de ne pas avoir subi de
près ceux dont parlent les journaux. Mais je les ai vus.
Ah oui, il y avait un saint, le pape vient de le canoniser, pas grave
qu'il détestait les femmes. C'était l'esprit du temps.
Et tous savaient.